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Claude Fuzier, le Chili et l’Amérique latine (Suite)

2 Août 2008 , Rédigé par ps section Champigny sur Marne Publié dans #Evènement à Champigny

Suite de l'article "Claude Fuzier, le Chili et l'Amérique Latine"


"Les démocrates en deuil ", l'OURS, septembre 1973


En voici l’essentiel, sous la plume de Claude Fuzier :

« Un homme est mort et ses assassins sont probablement convaincus d’avoir tué avec lui l’idéal qu’il représentait et l’expérience qu’il tentait. C’est parce qu’il était démocrate, socialiste et marxiste que Salvador Allende a été abattu. C’est en démocrate, en socialistes et en marxistes qu’il nous faut tirer les leçons de l’événement. Pleurer avec les siens, sa famille, son parti et le peuple chilien, c’est le premier réflexe de tous ; Organiser la protection et la solidarité mondiales, c’est ce qui doit venir immédiatement après ; Mais, plus encore, il faut faire en sorte que le crime ne paie pas et que se soit rendu impossible le renouvellement de semblables drames. »


Dans les pages intérieures de cette publication de l’OURS, rédigée quelques jours après le coup d’État, on note deux articles éminemment politiques sur les événements qui viennent de se dérouler. Le premier, sous la plume de Denis Cépède, alors secrétaire général de l’OURS. Il y développe des idées chères à l’OURS et à la Bataille socialiste : il ne faut pas être légaliste pour deux.

Denis Cépède, a/s du Chili, L'OURS, août-sept 1973


De son côté, Claude Fuzier publie un long article, « Chili : de septembre 1970 à septembre 1973, les conditions d’un combat socialiste ». Cet article permet dans un premier temps de mesurer le travail effectué à chaud par le journaliste, et sa maîtrise des techniques de l’information, nourrie de sa connaissance de l’histoire du pays. Quelques jours après le coup d’État, en effet, il est en mesure de rédiger un article de synthèse de plusieurs pages sur le Chili : son économie, la constitution de l’unité populaire, l’armée, le coup d’État.

Fuzier, Chili, septembre 1973


Quelques mois plus tard, en février 1974, l’OURS consacre un Cahier & Revue spécial à « L’expérience chilienne : le gouvernement de Salvador Allende ». Ce Cahier est le fruit du travail d’une équipe ayant réuni : Joseph Begarra, Guy Bordes, Pierre Cousteix, Yves Durand, Michel Fichand, Jean-René Hamon et Pierre Rimbert. L’objectif de cette publication est « de replacer la brève expérience de l’Unité populaire dans un cadre aussi large que possible, dans une continuité devant permette une compréhension nette de ce que fut le gouvernement d’Allende. (…) La mort héroïque d’Allende, la férocité du putsch militaire doivent orienter notre réflexion vers ce que doivent être les éléments d’une pensée et d’une action efficacement révolutionnaires. »

Études de synthèse et analyses se succèdent dans cette publication. On note tout particulièrement deux longs articles : « Causes et raisons de l’échec des l’expérience chilienne d’Unité populaire » et « Y a-t-il une leçon à tirer du drame chilien ? »


L'OURS, Y-a-t'il des leçons à tirer du drame chilien



Tels sont les enseignements essentiels du 11 septembre 1973 tirés par Claude Fuzier, l’OURS et la Bataille socialiste. Posés en ces termes, ils n’intéressent pas grand monde dans la famille socialiste. Certes, celle-ci a ressenti comme une blessure le coup d’État, elle s’indigne, elle condamne, elle aide les Chiliens (restés au pays ou en exil), elle s’inquiète même pour son propre avenir en cas d’accession future au pouvoir (au point que nombre de militants socialistes, en 1981 encore, pas uniquement par boutade, parleront des « stades » et de l’éventualité d’un coup d’État militaire en France). Mais elle est désormais dans une autre logique, plus immédiate, sans se préoccuper des questions doctrinales. Le réel s’impose, sans remettre en cause le système dominant. Surtout, la position défendue par la Bataille socialiste n’avait pas beaucoup de chance d’être écoutée, ou entendue par les socialistes, dans la mesure où elle n’était guère exaltante à court ou à moyen terme : après tant d’années de pouvoir exercé par la droite, nombre d’entre eux trouvaient que l’heure de l’alternance était légitimement venue. Mais les conditions et les précautions mises par Claude Fuzier et ses amis étaient telles que cette alternance paraissait reportée aux calendes grecques… La génération des dirigeants des années soixante-dix, alors en pleine lancée de conquête du pouvoir, ne pouvait pas le supporter. Même s’il ne partageait pas cette position, Claude Fuzier cherchait toujours à la comprendre. Il m’a en effet déclaré en 1991 : « Pourquoi le leur reprocher ? Nos histoires étaient indéfendables, si l’on tient compte à la fois des ambitions légitimes personnelles et de l’aspiration à prendre les affaires de l’État ».

Le Musée international Salvador Allende

L’INCLA a aussi été partie prenante dans la sauvegarde d’une partie du patrimoine culturel latino-américain, en hébergeant pendant plusieurs années à Bondy le Musée international Salvador Allende. L’histoire de ce musée reste à écrire, tout au moins en français.
Ce musée est né en 1971 à Santiago du Chili sur une initiative de Salvador Allende pour montrer les avancées culturelles de l’Unité populaire.
Avant 1973, des oeuvres venant de nombreux pays ont été exposées au Chili. Mais toutes les toiles promises par les artistes n’ont pu arriver dans ce pays avant le coup d’État. C’est sans doute une chance, car elles auraient sans doute disparu ensuite. Elles ont servi après 1973 de base pour constituer le musée international Salvador Allende. D’autres œuvres ont été collectées ensuite, composant un singulier musée de l’exil et de la résistance, commençant une errance politique, avant d’aboutir à Bondy, pour repartir régulièrement pour d’autres expositions, en France et à l’étranger.

Ce musée a été stocké dans les locaux de l’INCLA, jusqu’au moment où cette aventure collective a commencé à s’effilocher lentement. Craignant sans doute des disparitions, voire des vols dans cette période bizarre qui s’ouvrait pour l’institut, et s’estimant responsable en tant que responsable de l’INCLA et maire de Bondy, Claude Fuzier a décidé de faire transférer les toiles dans un autre bâtiment communal, en l’occurrence les caves de la bibliothèque municipale, où elles sont restées pendant plusieurs années. Le Musée a ensuite quitté Bondy début 1990, grâce à un soutien financier débloqué par Jack Lang, alors ministre de la Culture, qui a permis de mettre les œuvres en caisse et de les retourner au Chili. Cette aventure collective de l’INCLA n’a été qu’un aspect de l’action de Claude Fuzier en faveur de l’Amérique latine. Il n’a jamais voulu dissocier les débats théoriques de l’action concrète, les uns nourrissant l’autre, et réciproquement.

 Présentant une exposition sur l’art latino-américain qui s’est tenue à Bondy en 1979, il a écrit : « Nos mains se rencontrent et se serrent pour dire notre fraternité. »

Cette fraternité pouvait se manifester dans des activités culturelles ou de soutien à des êtres humains qui souffrent. Revenant sur ce point, Antoine Blanca soulignera par exemple en 1997 sa « générosité naturelle, discrète et sans faille » (L’OURS, janvier 1997, hommage à Claude Fuzier).

Mais l’homme était aussi un politique, entendant toujours retenir des faits, de la vie, des enseignements pour l’action et pour l’avenir. Il le faisait sans nuances, car il avait
compris que la politique n’est pas l’art des nuances. Redonnons-lui la parole, à ce niveau du débat. Il a déclaré en 1983, au colloque de l’OURS sur le Chili : « Les nuances sont un luxe que s’offrent les hommes politiques dans les périodes où les choses vont ni trop mal ni trop bien. Lorsque l’histoire tranche, elle tranche sans nuance ». L’histoire a tranché en septembre 1973 au Chili. Mais Claude Fuzier a entendu en tirer ce qui pour lui étaient les vraies leçons, pour mieux préparer les chances du socialisme, mesurant l’action socialiste sur le long terme. Il l’a fait sans nuance certes, il n’a pas été entendu : là est la réalité. Il ne pouvait que l’entériner, tout en continuer à agir.

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